CULTURE

Les échecs à l’ère de l’attention volatile – Une revanche de l’intellect ?

13/5/2025
Clément Rigaud
Faire passer la souris sur les mots cachés pour les lire
13/5/2025

Les échecs à l’ère de l’attention volatile – Une revanche de l’intellect ?

Les échecs à l’ère de l’attention volatile – Une revanche de l’intellect ?

Les échecs à l’ère de l’attention volatile – Une revanche de l’intellect ?

Clément Rigaud
Faire passer la souris sur les mots cachés pour les lire

Dans une époque qui semble vouloir pulvériser toute forme de continuité mentale, où les contenus sont conçus pour être scrollés, zappés, consommés dans une infinité de distractions, une scène inattendue se dessine : le retour des échecs sur le devant de la culture populaire. Sur Twitch, dans les stories, au détour d’un clip YouTube : l’échiquier fait un retour fracassant. Paradoxe absolu dans un monde où la durée moyenne d’attention serait tombée à 8 secondes, soit moins que celle... d’un poisson rouge. Ce chiffre, issu d’une étude largement médiatisée de Microsoft Canada (2015), est devenu emblématique du mal moderne : l’effritement de notre capacité à rester concentré. En l’espace de deux décennies, la surcharge cognitive provoquée par les écrans, les notifications, les vidéos courtes et le multitâche constant aurait littéralement contracté notre disponibilité mentale. Pourtant, dans cette agitation continue, les échecs – quintessence du jeu de réflexion, long, silencieux, cérébral – redeviennent tendance. Une sorte de posture élégante face au chaos. Comme si la société, ivre de vitesse, cherchait instinctivement des îlots de lenteur.

L’écho du confinement

Longtemps perçus comme un bastion de l’élite intellectuelle, les échecs n’ont jamais totalement quitté la scène mondiale, mais leur présence publique a connu des résurgences spectaculaires, souvent liées à des tensions géopolitiques ou des basculements culturels. En 1972, le duel mythique entre l’Américain Bobby Fischer et le Soviétique Boris Spassky devient l’un des symboles les plus marquants de la guerre froide : deux superpuissances opposent leur génie stratégique sur 64 cases, dans un théâtre aussi feutré que hautement politique. Les décennies suivantes voient s’affronter Kasparov et Karpov, reflet d’une Russie tiraillée entre l’ancien système soviétique et son renouveau, jusqu’au choc de 1997, où Kasparov s’incline face à Deep Blue, scellant l’entrée dans l’ère des intelligences artificielles. Puis, pendant un temps, le silence. Jusqu’à ce qu’un autre basculement mondial – la pandémie – ranime l’intérêt. Les échecs deviennent, ironie du sort, le seul sport encore autorisé, et l’organisation du Tournoi des Candidats, malgré tout, enflamme les passionnés. En France, la performance du grand maître Maxime Vachier-Lagrave suscite une rare effervescence médiatique. L’échiquier se retrouve, une fois encore, sous les projecteurs, préparant le terrain à l’onde de choc provoquée par Le Jeu de la Dame sur Netflix. La série propulse les échecs dans la culture populaire avec une esthétique magnétique et féminine, bousculant l’imaginaire poussiéreux du jeu, et ouvre la voie à une génération qui redécouvre, à travers l’écran, le plaisir d’un jeu sans écran.

L’argent en embuscade

Sur les plateformes comme Chess.com ou Lichess, le nombre d’inscriptions explose. Sur TikTok, des analyses tactiques flirtent avec le million de vues. Des joueurs autrefois inconnus du grand public se prêtent au jeu du streaming, diffusant leurs parties en direct devant des centaines de milliers d'abonnés. Un lexique se forme, une esthétique émerge — entre GIF d’ouverture sicilienne et slow-motion d’échec et mat. Loin de ringardiser le jeu, cette médiatisation lui insuffle un second souffle, plus accessible, plus ‘divertissant’, plus joueur. On y apprend les fondamentaux comme on binge une série, on suit des parties en ligne comme des combats de boxe, le vernis intellectuel en moins, l’adrénaline en plus. Sur YouTube ou Twitch, les créateurs de contenu se tournent vers la vulgarisation, déclinant leurs chaînes par niveaux — débutants, confirmés, +1000 Elo… La popularisation déclenche une ruée vers l’attention, une course au buzz. Certains tordent les règles pour créer des formats plus viraux, plus spectaculaires : chess-boxing, parties 960, blitz entre célébrités... Côté compétition, d’autres franchissent la ligne rouge : l’affaire de la triche supposée par plug anal en 2022 ébranle la discipline, révélant l’absurde pression exercée par l’argent dans le cercle fermé du très haut niveau. Les prix s’envolent — le Championnat du monde de la FIDE distribue plusieurs millions de dollars, tandis que Chess.com, valorisé à plus d’un demi-milliard, multiplie les rachats stratégiques (comme celui de l’influent Chess24). À mesure que les audiences montent, les enjeux économiques explosent. Les échecs ne sont plus seulement un art cérébral : ils deviennent un marché, une industrie, un levier algorithmique.

Contretemps

Peut-être faut-il y voir une forme de résistance. Dans un monde saturé de stimulations, où tout s'accélère, se fragmente, se simplifie, les échecs imposent un rythme contraire. Ils exigent de l’attention prolongée, du silence intérieur, une lente montée en tension — autant de vertus devenues rares. Le jeu devient alors une forme d’asymétrie volontaire, un luxe mental à contre-courant de nos usages numériques. À une époque où les choix se font à la volée, les échecs valorisent la patience, la stratégie, la responsabilité : chaque mouvement a un prix, chaque erreur s’assume. C’est peut-être ce retour à une forme de conséquence dans l’acte qui séduit une génération en mal de repères. Fait rare aujourd’hui, les échecs sont non prescriptifs : ils ne vous promet pas d’aller plus vite, mais d’aller mieux. À l’instar du vinyle ou du film argentique, les échecs incarnent une nostalgie active — pas seulement le souvenir d’un temps plus lent, mais le désir de le réactiver, pièce par pièce, dans une partie qu’on joue autant contre l’adversaire qu’avec soi-même.

Reste à voir si cette passion, nourrie par les réseaux eux-mêmes, survivra à l’effet de mode. Car le paradoxe reste entier : les échecs sont à la fois antidote et produit de l’ère numérique. Vulgarisés pour les masses, ils flirtent parfois avec la superficialité qu’ils prétendent combattre. Mais qu’importe. Si même quelques jeunes esprits redécouvrent la valeur de la concentration, le jeu aura déjà gagné une partie.

Dans l’empire des algorithmes, il restait un carré de 64 cases où la pensée pouvait encore se mouvoir librement. Il semble qu’il ait trouvé de nouveaux joueurs.

13/5/2025

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Dans une époque qui semble vouloir pulvériser toute forme de continuité mentale, où les contenus sont conçus pour être scrollés, zappés, consommés dans une infinité de distractions, une scène inattendue se dessine : le retour des échecs sur le devant de la culture populaire. Sur Twitch, dans les stories, au détour d’un clip YouTube : l’échiquier fait un retour fracassant. Paradoxe absolu dans un monde où la durée moyenne d’attention serait tombée à 8 secondes, soit moins que celle... d’un poisson rouge. Ce chiffre, issu d’une étude largement médiatisée de Microsoft Canada (2015), est devenu emblématique du mal moderne : l’effritement de notre capacité à rester concentré. En l’espace de deux décennies, la surcharge cognitive provoquée par les écrans, les notifications, les vidéos courtes et le multitâche constant aurait littéralement contracté notre disponibilité mentale. Pourtant, dans cette agitation continue, les échecs – quintessence du jeu de réflexion, long, silencieux, cérébral – redeviennent tendance. Une sorte de posture élégante face au chaos. Comme si la société, ivre de vitesse, cherchait instinctivement des îlots de lenteur.

L’écho du confinement

Longtemps perçus comme un bastion de l’élite intellectuelle, les échecs n’ont jamais totalement quitté la scène mondiale, mais leur présence publique a connu des résurgences spectaculaires, souvent liées à des tensions géopolitiques ou des basculements culturels. En 1972, le duel mythique entre l’Américain Bobby Fischer et le Soviétique Boris Spassky devient l’un des symboles les plus marquants de la guerre froide : deux superpuissances opposent leur génie stratégique sur 64 cases, dans un théâtre aussi feutré que hautement politique. Les décennies suivantes voient s’affronter Kasparov et Karpov, reflet d’une Russie tiraillée entre l’ancien système soviétique et son renouveau, jusqu’au choc de 1997, où Kasparov s’incline face à Deep Blue, scellant l’entrée dans l’ère des intelligences artificielles. Puis, pendant un temps, le silence. Jusqu’à ce qu’un autre basculement mondial – la pandémie – ranime l’intérêt. Les échecs deviennent, ironie du sort, le seul sport encore autorisé, et l’organisation du Tournoi des Candidats, malgré tout, enflamme les passionnés. En France, la performance du grand maître Maxime Vachier-Lagrave suscite une rare effervescence médiatique. L’échiquier se retrouve, une fois encore, sous les projecteurs, préparant le terrain à l’onde de choc provoquée par Le Jeu de la Dame sur Netflix. La série propulse les échecs dans la culture populaire avec une esthétique magnétique et féminine, bousculant l’imaginaire poussiéreux du jeu, et ouvre la voie à une génération qui redécouvre, à travers l’écran, le plaisir d’un jeu sans écran.

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13/5/2025
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13/5/2025
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Les échecs à l’ère de l’attention volatile – Une revanche de l’intellect ?

15/5/2025
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Dans une époque qui semble vouloir pulvériser toute forme de continuité mentale, où les contenus sont conçus pour être scrollés, zappés, consommés dans une infinité de distractions, une scène inattendue se dessine : le retour des échecs sur le devant de la culture populaire. Sur Twitch, dans les stories, au détour d’un clip YouTube : l’échiquier fait un retour fracassant. Paradoxe absolu dans un monde où la durée moyenne d’attention serait tombée à 8 secondes, soit moins que celle... d’un poisson rouge. Ce chiffre, issu d’une étude largement médiatisée de Microsoft Canada (2015), est devenu emblématique du mal moderne : l’effritement de notre capacité à rester concentré. En l’espace de deux décennies, la surcharge cognitive provoquée par les écrans, les notifications, les vidéos courtes et le multitâche constant aurait littéralement contracté notre disponibilité mentale. Pourtant, dans cette agitation continue, les échecs – quintessence du jeu de réflexion, long, silencieux, cérébral – redeviennent tendance. Une sorte de posture élégante face au chaos. Comme si la société, ivre de vitesse, cherchait instinctivement des îlots de lenteur.

L’écho du confinement

Longtemps perçus comme un bastion de l’élite intellectuelle, les échecs n’ont jamais totalement quitté la scène mondiale, mais leur présence publique a connu des résurgences spectaculaires, souvent liées à des tensions géopolitiques ou des basculements culturels. En 1972, le duel mythique entre l’Américain Bobby Fischer et le Soviétique Boris Spassky devient l’un des symboles les plus marquants de la guerre froide : deux superpuissances opposent leur génie stratégique sur 64 cases, dans un théâtre aussi feutré que hautement politique. Les décennies suivantes voient s’affronter Kasparov et Karpov, reflet d’une Russie tiraillée entre l’ancien système soviétique et son renouveau, jusqu’au choc de 1997, où Kasparov s’incline face à Deep Blue, scellant l’entrée dans l’ère des intelligences artificielles. Puis, pendant un temps, le silence. Jusqu’à ce qu’un autre basculement mondial – la pandémie – ranime l’intérêt. Les échecs deviennent, ironie du sort, le seul sport encore autorisé, et l’organisation du Tournoi des Candidats, malgré tout, enflamme les passionnés. En France, la performance du grand maître Maxime Vachier-Lagrave suscite une rare effervescence médiatique. L’échiquier se retrouve, une fois encore, sous les projecteurs, préparant le terrain à l’onde de choc provoquée par Le Jeu de la Dame sur Netflix. La série propulse les échecs dans la culture populaire avec une esthétique magnétique et féminine, bousculant l’imaginaire poussiéreux du jeu, et ouvre la voie à une génération qui redécouvre, à travers l’écran, le plaisir d’un jeu sans écran.

L’argent en embuscade

Sur les plateformes comme Chess.com ou Lichess, le nombre d’inscriptions explose. Sur TikTok, des analyses tactiques flirtent avec le million de vues. Des joueurs autrefois inconnus du grand public se prêtent au jeu du streaming, diffusant leurs parties en direct devant des centaines de milliers d'abonnés. Un lexique se forme, une esthétique émerge — entre GIF d’ouverture sicilienne et slow-motion d’échec et mat. Loin de ringardiser le jeu, cette médiatisation lui insuffle un second souffle, plus accessible, plus ‘divertissant’, plus joueur. On y apprend les fondamentaux comme on binge une série, on suit des parties en ligne comme des combats de boxe, le vernis intellectuel en moins, l’adrénaline en plus. Sur YouTube ou Twitch, les créateurs de contenu se tournent vers la vulgarisation, déclinant leurs chaînes par niveaux — débutants, confirmés, +1000 Elo… La popularisation déclenche une ruée vers l’attention, une course au buzz. Certains tordent les règles pour créer des formats plus viraux, plus spectaculaires : chess-boxing, parties 960, blitz entre célébrités... Côté compétition, d’autres franchissent la ligne rouge : l’affaire de la triche supposée par plug anal en 2022 ébranle la discipline, révélant l’absurde pression exercée par l’argent dans le cercle fermé du très haut niveau. Les prix s’envolent — le Championnat du monde de la FIDE distribue plusieurs millions de dollars, tandis que Chess.com, valorisé à plus d’un demi-milliard, multiplie les rachats stratégiques (comme celui de l’influent Chess24). À mesure que les audiences montent, les enjeux économiques explosent. Les échecs ne sont plus seulement un art cérébral : ils deviennent un marché, une industrie, un levier algorithmique.

Contretemps

Peut-être faut-il y voir une forme de résistance. Dans un monde saturé de stimulations, où tout s'accélère, se fragmente, se simplifie, les échecs imposent un rythme contraire. Ils exigent de l’attention prolongée, du silence intérieur, une lente montée en tension — autant de vertus devenues rares. Le jeu devient alors une forme d’asymétrie volontaire, un luxe mental à contre-courant de nos usages numériques. À une époque où les choix se font à la volée, les échecs valorisent la patience, la stratégie, la responsabilité : chaque mouvement a un prix, chaque erreur s’assume. C’est peut-être ce retour à une forme de conséquence dans l’acte qui séduit une génération en mal de repères. Fait rare aujourd’hui, les échecs sont non prescriptifs : ils ne vous promet pas d’aller plus vite, mais d’aller mieux. À l’instar du vinyle ou du film argentique, les échecs incarnent une nostalgie active — pas seulement le souvenir d’un temps plus lent, mais le désir de le réactiver, pièce par pièce, dans une partie qu’on joue autant contre l’adversaire qu’avec soi-même.

Reste à voir si cette passion, nourrie par les réseaux eux-mêmes, survivra à l’effet de mode. Car le paradoxe reste entier : les échecs sont à la fois antidote et produit de l’ère numérique. Vulgarisés pour les masses, ils flirtent parfois avec la superficialité qu’ils prétendent combattre. Mais qu’importe. Si même quelques jeunes esprits redécouvrent la valeur de la concentration, le jeu aura déjà gagné une partie.

Dans l’empire des algorithmes, il restait un carré de 64 cases où la pensée pouvait encore se mouvoir librement. Il semble qu’il ait trouvé de nouveaux joueurs.

Dans une époque qui semble vouloir pulvériser toute forme de continuité mentale, où les contenus sont conçus pour être scrollés, zappés, consommés dans une infinité de distractions, une scène inattendue se dessine : le retour des échecs sur le devant de la culture populaire. Sur Twitch, dans les stories, au détour d’un clip YouTube : l’échiquier fait un retour fracassant. Paradoxe absolu dans un monde où la durée moyenne d’attention serait tombée à 8 secondes, soit moins que celle... d’un poisson rouge. Ce chiffre, issu d’une étude largement médiatisée de Microsoft Canada (2015), est devenu emblématique du mal moderne : l’effritement de notre capacité à rester concentré. En l’espace de deux décennies, la surcharge cognitive provoquée par les écrans, les notifications, les vidéos courtes et le multitâche constant aurait littéralement contracté notre disponibilité mentale. Pourtant, dans cette agitation continue, les échecs – quintessence du jeu de réflexion, long, silencieux, cérébral – redeviennent tendance. Une sorte de posture élégante face au chaos. Comme si la société, ivre de vitesse, cherchait instinctivement des îlots de lenteur.

L’écho du confinement

Longtemps perçus comme un bastion de l’élite intellectuelle, les échecs n’ont jamais totalement quitté la scène mondiale, mais leur présence publique a connu des résurgences spectaculaires, souvent liées à des tensions géopolitiques ou des basculements culturels. En 1972, le duel mythique entre l’Américain Bobby Fischer et le Soviétique Boris Spassky devient l’un des symboles les plus marquants de la guerre froide : deux superpuissances opposent leur génie stratégique sur 64 cases, dans un théâtre aussi feutré que hautement politique. Les décennies suivantes voient s’affronter Kasparov et Karpov, reflet d’une Russie tiraillée entre l’ancien système soviétique et son renouveau, jusqu’au choc de 1997, où Kasparov s’incline face à Deep Blue, scellant l’entrée dans l’ère des intelligences artificielles. Puis, pendant un temps, le silence. Jusqu’à ce qu’un autre basculement mondial – la pandémie – ranime l’intérêt. Les échecs deviennent, ironie du sort, le seul sport encore autorisé, et l’organisation du Tournoi des Candidats, malgré tout, enflamme les passionnés. En France, la performance du grand maître Maxime Vachier-Lagrave suscite une rare effervescence médiatique. L’échiquier se retrouve, une fois encore, sous les projecteurs, préparant le terrain à l’onde de choc provoquée par Le Jeu de la Dame sur Netflix. La série propulse les échecs dans la culture populaire avec une esthétique magnétique et féminine, bousculant l’imaginaire poussiéreux du jeu, et ouvre la voie à une génération qui redécouvre, à travers l’écran, le plaisir d’un jeu sans écran.

L’argent en embuscade

Sur les plateformes comme Chess.com ou Lichess, le nombre d’inscriptions explose. Sur TikTok, des analyses tactiques flirtent avec le million de vues. Des joueurs autrefois inconnus du grand public se prêtent au jeu du streaming, diffusant leurs parties en direct devant des centaines de milliers d'abonnés. Un lexique se forme, une esthétique émerge — entre GIF d’ouverture sicilienne et slow-motion d’échec et mat. Loin de ringardiser le jeu, cette médiatisation lui insuffle un second souffle, plus accessible, plus ‘divertissant’, plus joueur. On y apprend les fondamentaux comme on binge une série, on suit des parties en ligne comme des combats de boxe, le vernis intellectuel en moins, l’adrénaline en plus. Sur YouTube ou Twitch, les créateurs de contenu se tournent vers la vulgarisation, déclinant leurs chaînes par niveaux — débutants, confirmés, +1000 Elo… La popularisation déclenche une ruée vers l’attention, une course au buzz. Certains tordent les règles pour créer des formats plus viraux, plus spectaculaires : chess-boxing, parties 960, blitz entre célébrités... Côté compétition, d’autres franchissent la ligne rouge : l’affaire de la triche supposée par plug anal en 2022 ébranle la discipline, révélant l’absurde pression exercée par l’argent dans le cercle fermé du très haut niveau. Les prix s’envolent — le Championnat du monde de la FIDE distribue plusieurs millions de dollars, tandis que Chess.com, valorisé à plus d’un demi-milliard, multiplie les rachats stratégiques (comme celui de l’influent Chess24). À mesure que les audiences montent, les enjeux économiques explosent. Les échecs ne sont plus seulement un art cérébral : ils deviennent un marché, une industrie, un levier algorithmique.

Contretemps

Peut-être faut-il y voir une forme de résistance. Dans un monde saturé de stimulations, où tout s'accélère, se fragmente, se simplifie, les échecs imposent un rythme contraire. Ils exigent de l’attention prolongée, du silence intérieur, une lente montée en tension — autant de vertus devenues rares. Le jeu devient alors une forme d’asymétrie volontaire, un luxe mental à contre-courant de nos usages numériques. À une époque où les choix se font à la volée, les échecs valorisent la patience, la stratégie, la responsabilité : chaque mouvement a un prix, chaque erreur s’assume. C’est peut-être ce retour à une forme de conséquence dans l’acte qui séduit une génération en mal de repères. Fait rare aujourd’hui, les échecs sont non prescriptifs : ils ne vous promet pas d’aller plus vite, mais d’aller mieux. À l’instar du vinyle ou du film argentique, les échecs incarnent une nostalgie active — pas seulement le souvenir d’un temps plus lent, mais le désir de le réactiver, pièce par pièce, dans une partie qu’on joue autant contre l’adversaire qu’avec soi-même.

Reste à voir si cette passion, nourrie par les réseaux eux-mêmes, survivra à l’effet de mode. Car le paradoxe reste entier : les échecs sont à la fois antidote et produit de l’ère numérique. Vulgarisés pour les masses, ils flirtent parfois avec la superficialité qu’ils prétendent combattre. Mais qu’importe. Si même quelques jeunes esprits redécouvrent la valeur de la concentration, le jeu aura déjà gagné une partie.

Dans l’empire des algorithmes, il restait un carré de 64 cases où la pensée pouvait encore se mouvoir librement. Il semble qu’il ait trouvé de nouveaux joueurs.

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